Inari Sato

Entre la jeune fille qui a grandi au Japon, l'hybride docile sortie de Chroma et la femme opulente qui existe désormais, il y a des années lumière. Bien loin de la candeur que tu as eu à une lointaine époque où ton seul souhait était de plaire à ta famille, tu es devenue une personne autoritaire qui aime avoir le contrôle sur les gens et sur les événements. Consciencieuse dans ton entreprise et très organisée, tu déploies tes multiples facettes dans le quartier du Bronx où tu tiens ton commerce clandestin. Requin en affaire mais toujours honnête avec tes clients - dont les plus réguliers sont chouchoutés sur les prix et les services, tu aimes la richesse et le pouvoir que te confère ta nouvelle vie en tant que déviante.

Rusée comme une renarde, ce qui n'est pas peu dire au vu de ton hybridation, tu te faufiles dans les bas fonds du quartier pour y faire ta place avec conviction. D'une poigne de fer, tu diriges ton petit business illégal avec un grand intérêt. Un poil sournoise lorsqu'il s'agit de faire affaire avec la concurrence, ou pire encore s'il s'agit de converser avec un humain, tu mènes intelligemment tes conquêtes pour ne pas risquer de voir ton empire s'effondrer. Patiente, tu sais attendre le bon moment pour te saisir de ce que tu désires, mais d'aucun aurait tort de croire que tu lui laisseras le temps de souffler. Te sentant largement supérieure aux humains, tu se sers comme bon te semble sur les égarés dans le Bronx que tu ajoutes à ta collection de vente. Tu aimes posséder, dominer et contrôler le monde qui t'entoure. Bien que tu aies du respect pour les autres hybrides, tu n'apprécieras pas que l'on marche sur tes plates-bandes ni qu'on te regarde de travers.

Grande dame pleine d'élégance, tu vis dans l'opulence et savoure tes richesses sans te priver. Même lorsque tu en viens à t'énerver - ce qui est très rare je te l'accorde - tu ne tombes pas dans la simple vulgarité ni dans la violence. Tu es plus sinueuse et sadique, usant de mots bien tournés et de gestes maîtrisés, y compris sur tes jouets personnels ou sur tes employés. Tu es une femme distinguée, même dans l'intimité. Tu récompenses les efforts et le travail bien fait, mais punis aisément ceux qui font des erreurs ou qui mettent en danger ton commerce.

Désireuse de voir un monde où tu pourrais ouvrir ton entreprise au grand jour car les hybrides auraient pris le pas sur les humains, tu te contentes pour l'instant de récolter des informations lorsque tu en as l'occasion et de consolider tes fondations pour servir la cause déviante au mieux. Toujours prête à rendre service aux leaders de ce groupe, tu te tiens à disposition des Deviants dans le cas où il faudrait frapper fort. Les coups d'état ne te font pas peur, renverser l'ordre établi non plus. Les hybrides sont nettement supérieurs dans ton esprit et auraient bien plus de mérite à être aux commandes. Sublimes créatures, évolution supérieure ; voilà comment tu te vois ainsi que tes confrères. La voilà partie bien loin, la petite fille obéissante qui devait faire la fierté de ses parents. Mais n'ont-ils pas eu ce qu'ils désiraient ? Une créature unique capable de diriger une entreprise à elle seule ? Tu leur rirais bien au nez si tu les revoyais...

Le Japon ; c'est là que tu as vu le jour pour la première fois, promise à un destin qui t'échappe déjà alors que tes parents auraient souhaité un garçon. Une fille n'est pas à la hauteur de reprendre la société de ton père, le rôle de la femme - de la mère - est d'assurer l'image et l'héritage de ce mariage riche et de l'entreprise que dirige ton géniteur. Décevante de par ta seule naissance, tu aspires pourtant à plaire à tes parents qui font de toi une petite chose bien dressée. Ta mère essaye d'avoir d'autres enfants, mais en vain. Le verdict tombe ; un problème d'ovaire polykystiques et la voilà incapable de procréer de nouveau. Ils vont devoir se contenter de toi, la fille, alors que leurs espoirs de faire prospérer leur empire diminue. Peut-être qu'un jour un mariage arrangé pourra mener à trouver un héritier mâle pour l'entreprise ? Mais l'idée même de donner les rênes de cette compagnie à quelqu'un qui n'est pas du même sang les embête. Ils verront plus tard ; pour l'instant, il faut se contenter de toi et de t'inculquer les bases de la vie en mondanité.

Tu reçois une éducation impeccable et élitiste dès les premières années de ta vie. On t'apprend à te tenir droite, à t'habiller correctement, à parler avec respect et à te montrer digne du nom de famille que tu portes. On t'apprend à éviter de te lier d'amitié avec le bas peuple, à te montrer plus hautaine et à comprendre que ta place en tant que Sato est au dessus de la moyenne. Mais tu es encore jeune, et candide, et pleine de douceur. Aussi tu leur ramènes parfois les petits animaux blessés que tu trouves dehors, ton jupon recouvert de terre sans que tu t'en sois aperçue. Tu te fais quelques amis, mais ce n'est pas parmi les plus riches. Aussi tes parents te changent d'école élémentaire pour te mettre dans un établissement privé où tu seras obligée de te lier avec des gens de ton niveau social. Tu as du mal à t'intégrer, tu rentres souvent chez toi la tête basse et tes parents répugnent à s'occuper de te remonter le moral. Ce n'est pas digne de leur rang social que d'élever une petite chose fragile comme toi.

Tu arrives sur tes huit ans lorsque ta famille doit déménager à New York pour les affaires de ton père. Quelque part, même si tu aimes ton pays et ses couleurs, sa culture et ses odeurs, tu te dis qu'avec un peu de chance ce sera plus évident pour toi de te faire une place là-bas. Tu espères en secret que tes parents seront plus souples avec toi, qu'il sera plus facile de les contenter. Après tout c'est ce que tu as toujours cherché à faire, maladroitement c'est certain. Mais l'espoir retombe rapidement alors que tu réalises qu'ils n'ont pas changé de point de vue sur la vie, ni à ton égard. Ils se demandent ce qu'ils vont faire de toi. Même si tu es encore très jeune, tu sembles difficile à imaginer être bonne à marier plus tard. Un peu trop naïve, un peu trop tête en l'air, pas toujours présentable malgré tes efforts. Tu oublies vite, parce que tu es jeune. Toi tu voudrais profiter de ton enfance et quelque part tu le fais un peu lorsque tu cours dans Central Park quand tes parents ont le dos tourné. Mais ton jupon tâché de vert ne trompera personne et ta mère s'énervera alors que ton père refusera même de te regarder. Tu n'es clairement pas digne d'être son héritière, et pas seulement parce que tu es une fille. Tu manques de fougue et de mordant qui sont nécessaire au monde des affaires. Tu es trop gentille, trop rêveuse.

Tu n'as pas conscience du fait que tes parents se sont rapprochés d'Humanis, qu'ils s'intéressent à Chroma. Ce sont des choses qui te dépassent bien largement même si tu prends de plus en plus conscience du monde qui t'entoure. Tu vois les hybrides, ces jolies créatures aux composantes variées, être traités comme inférieures et tes parents t'apprennent à en faire de même. Mais au fond de toi, tu es fascinée par ce qu'ils représentent. Mi-humains, mi-animaux, ils incarnent pour toi quelque chose de très beau dans tes yeux d'enfants. Tes parents t'interdisent de t'en faire des amis ; ils sont en dessous de la chaîne alimentaire et ne sont là que pour servir les intérêts des humains. D'ailleurs, à force de côtoyer des gens qui en possèdent, ils hésitent à en adopter un pour les tâches ménagères, ou même pour s'occuper de toi. Mais ils ont peur que cela te monte à la tête et que ta naïveté te pousse à les apprécier encore plus si ta nounou se montre avec des oreilles d'agneau.

Alors que tu arrives sur ta onzième année, tes parents se demandent encore ce qu'ils pourront faire de ton cas. Une idée semble leur venir car tu les suis régulièrement à des rendez-vous dans un grand laboratoire appelé Chroma. Tu ignores en partie de quoi il s'agit, tu te contentes de les suivre et de regarder par la fenêtre alors que tes parents parlent de toi avec une personne portant une blouse blanche. Tu entends des bribes de conversation, mais tu n'es pas concentrée dessus. Tu préfères t'attarder sur le papillon qui vole à proximité de la vitre. On appelle ton nom et tu te retournes pour finalement être examinée. Tes parents t'expliquent qu'ils ont trouvé de quoi te rendre unique et hors du commun, et toi tu veux simplement leur plaire. Alors tu les écoutes, bien docilement, et on te laisse entre les mains des infirmiers de Chroma pour un certain temps. Au départ, il ne s'agit que de banal examens. On te pose des question, on prend tes mesures et ton poids, on te fait des prises de sang. Ce n'est pas très agréable et l'endroit te fait un peu peur. Mais le plus dur reste encore à venir.

Tu fêtes ton douzième anniversaire entre les murs blancs du laboratoire. On t'explique que tu vas bientôt subir des changements et que tu ne seras plus vraiment humaine. Le traitement est lourd, douloureux. Les injections semblent glisser sous ta peau et y répandre un venin brûlant dans toutes tes veines. Au fil des semaines, ton crâne semble imploser alors que deux bosses sont apparues sous ton cuir chevelu qui s'est largement épaissi. Plus le temps passe, plus tu t'habitues à la douleur. Mais quelque chose en toi commence à se briser alors que tu réalises ce qui est vraiment en train de t'arriver. Tu vas devenir ce que tes parents estiment inférieur aux humains ; une hybride. Tu comprends peu à peu que tes parents ne voulaient pas de toi telle que tu es, que tu ne les contentait pas, qu'ils ont eu besoin de te rendre différente pour au moins pouvoir se servir de toi. Tu ignores encore à quel point, mais bientôt tu seras exhibée comme un animal sauvage qu'on aurait domestiqué lors de soirées mondaines. Tu seras la porcelaine de Chine que l'on sort pour les repas importants, mi esclave, mi bête de cirque.

Mais il reste encore un peu de chemin à faire avant que tu ne sois rendue à tes parents. En effet, tu dois passer par la case dressage et dans ton cas il s'agit de supprimer ta bienveillance à l'égard de toutes les créatures, de te rendre présentable en toutes circonstances et d'effacer ta maladresse liée à ta candeur d'enfant. Tes parents n'ont pas souhaité faire de toi une personne plus forte, plus endurcie. Tu resteras docile ; de toute façon tu es maintenant hors jeu dans l'idée de reprendre l'entreprise de ton père. Ce n'était pas faisable, pas avec la mentalité que tu avais. Et maintenant que tu es une hybride, c'est complètement terminé. Mais tu vas servir ta famille autrement, et le dressage chez Chroma va te mener à devenir ce que tes parents attendent maintenant de toi.

La vérité, c'est que ce dressage renforcé va effectivement supprimer ta naïveté et ta candeur. Docile, tu le restes pour ne pas éveiller les soupçons. Mais tandis que les mois passent et que tu grandis dans ta tête, tu réalises la violence du monde qui t'entoure, qu'elle soit physique ou morale dans ton cas. Tu te mets à songer à tous ces hybrides qu'on a créé ou modifié au cours de leur vie dans le simple but de servir les humains. Ces vils, pathétiques et cruels humains. Comme tes parents, finalement. Pire encore sont les riches qui se croient au dessus de tout. Alors que vous, hybrides, êtes tellement plus prodigieux que de simples bipèdes sans capacités. Tu continues de grandir avec la certitude que les gênes que tu possèdes désormais te rendent bien supérieure à ceux qui tentent de t'asservir. Mais tu ne dis rien, tu fais ce qu'on te demande de faire jusqu'à quitter Chroma pour être retournée à tes parents.

Dans ton fort intérieur, tu te mets à mépriser les humains pour tout ce qu'ils font. Mais de l'extérieur, tu es un bon toutou à mettre en vitrine, une pièce unique et hors du commun très prisée pour ta beauté exotique et tes caractéristiques animales. Tu es l'article de collection que tes parents exhibent et qui sert correctement la famille. Placide, docile, présentable ; tu fais enfin la fierté de ceux qui étaient tes parents mais sont devenus tes maîtres. Ton père cherche encore un héritier, mais il ne tardera pas à le trouver dans la grande ville de New-York, un jeune plein d'ambition et qui partage ses convictions. Tu ne sers plus à rien dans l'entreprise familiale ; tu n'y as jamais été invitée de toute façon. Tu n'es plus que le chien de luxe qu'on se paye pour se faire mousser auprès des autres.

Les années passent avec une lenteur infinie tandis que tes ambitions grandissent ; tu es devenue forte, solide, résiliente et surtout très patiente. Tu vois comment ton père gère ses affaires, tu saisis la moindre opportunité de t'enrichir intellectuellement. Mais surtout, ta haine pour les humains se solidifie alors que tu vois à l'inverse de plus en plus de beauté dans les hybrides que tu rencontres. Toi même, tu te trouves magnifique. Tu vaux tellement mieux que ceux qui ont fait de toi celle que tu es aujourd'hui... Petit à petit, l'envie de prendre ta revanche se faire sentir. Tu as dépassé les dix-huit ans lorsque tes escapades nocturnes commencent. Comme tu es bien dressée et que tu n'as jamais posé de problèmes depuis toutes ces années, malgré ta puce, on ne te surveille pas outre mesure. Aussi tu en profites pour découvrir la ville autrement, aller là où on ne t'autorise pas à aller d'habitude. Et finalement, tu trouves le Bronx. Et dans le Bronx, tu trouves toutes sortes de créatures aussi fascinantes que toi. Mais aussi, tu trouves les Deviants. Eux qui pourraient bien être la clef de ton salut, autant par leurs moyens que par leurs principes similaires aux tiens.

Finalement, tu amorces des plans d'évasion qui prendront du temps. Mais tu es patiente, encore une fois, et tu ne veux pas tout précipiter au risque de tout faire planter. Pendant ce délais, tu en profites pour voler des pièces de valeur, de l'argent et autres richesses dont tes maîtres ne font même pas attention. Tu les planques à Central Park lors de tes escapades nocturnes, espérant que personne ne les trouve avant que tu n'aies pu t'échapper. Tu t'assures une transition vers cet autre monde qui ne soit pas trop difficile. Mine de rien, le confort et le luxe te siéent bien et tu n'as pas envie de troquer cette vie pour une autre dans la pauvreté. Même si évidemment, la servitude ne te convient pas le moins du monde. Alors voilà, tu fais ton petit tas d'or dans un coin bien caché et tu prends contact régulièrement avec les Deviants pour préparer ton dépuçage.

Tu as dix-neuf ans lorsque tout est prêt et ton évasion est lancée alors qu'on retire ta puce une nuit d'orage, couvrant tes cris à la misère du Bronx. Tu es solide, tu tiens le coup et tu goûtes enfin à la liberté de faire tes propres choix en fonction de tes convictions et non plus celles de tes parents. Cette voix intérieure que tu as dû taire pendant si longtemps pour ne pas abîmer ta couverture peut enfin s'exprimer, et voilà ce qu'elle dit ; tu veux un empire. Tu as le sens du commerce et de la richesse, tu retrouves tes trésors à Central Park et tu viens t'installer d'abord dans un petit appartement sans prétention le temps de prendre tes marques. Mais dans ton esprit, les choses sont en train de se démêler pour tracer un chemin vers ce que tu désires le plus ; renverser la vapeur et utiliser ceux qui t'ont malmenés pour faire des profits.

Les années passent encore, durant lesquelles tu commences à magouiller et à rapporter quelques humains que tu as pu trouver égarés afin de les ramener aux Deviants pour qu'ils les utilisent. Petit à petit, ton affaire a grandit. Au point que maintenant que tu arrives sur tes 34 ans, l'empire que tu souhaitais est bien instauré dans les bas fonds planqués du Bronx. Un commerce d'humains, qui sont vendus à d'autres hybrides ou parfois seulement loués pour des services divers et variés. Tu as tes hommes de main aussi, des gens qui te suivent et te respectent au point de travailler pour toi. Et tu les payes bien, ce n'est pas ton genre de ne pas récompenser le boulot bien fait. Tu as restauré ton statut social, même s'il est loin d'égaler celui de la riche héritière de la compagnie de ton père que tu n'aurais jamais pu être, il reste largement satisfaisant et tu n'as pas à te priver. Tu as le contrôle, l'argent, le temps. Tu es bien là où tu es, même si parfois tu aimerais repartir au Japon. Mais ton empire est ici à New-York et tu comptes bien continuer dans cette voie.