Aurore Tamisée - Dimitri Adamovitch

Tes bras lâchent lourdement une caisse de légumes périmés à l'arrière d'un magasin de Chinatown, dans la ruelle à côté des poubelles. Tu soupires pendant l'action ; ça y est, tu en as ta claque de ce boulot merdique de rayonnage en supermarché. Tu l'as su au moment où on t'a embauché que tu ne tiendrais pas longtemps à ce rythme là, ayant déjà testé plusieurs emplois du même registre depuis ton arrivée à Londres. Mais bon, il faut bien payer le loyer, pas vrai ?

Le visage fermé, tu retires le ridicule couvre chef fourni à tous les employés et te rends dans le bureau administratif pour récupérer ton pognon. C'est maigre. Très maigre. Mais ça vaut bien ta santé mentale. Alors que faire de cet argent durement gagné, hein ? Une partie servira à couvrir les frais de logement c'est certain, mais le peu qu'il reste ?

Tu enfonces l'argent dans tes poches et tire ta révérence à l'enseigne de supermarché chinois qui t'a laissé une chance de te faire un peu de fric, puis tu erres un moment dans le quartier alors que le soleil descend derrière les bâtiments. Tu as bien une idée de ce à quoi tu voudrais passer ta soirée, mais peux-tu vraiment te le permettre alors que les fins de mois sont déjà si difficiles ?

Haussant les épaules à cette pensée, tu continues à traîner jusqu'à ce que la nuit soit fraîchement installée. Ce n'est qu'à ce moment là que tu décides de tourner sur Great Malborough street pour finalement rentrer dans un club que tu as eu l'occasion de fréquenter à plusieurs reprises. La décoration à base de néons et l'odeur d'alcool qui y règne te fais te sentir tout de suite à ta place.

C'est à la limite du miteux, mais juste assez classe pour attirer une clientèle variée et pas trop craignos. Tu aimes ce genre d'endroits, même si tout ceci aura ta peau au long terme. L'alcool, ça coûte cher. Et là ce que tu fais c'est vivre au dessus de tes moyens.

Cela ne t'empêche pas de commander un whisky sour au barman qui te sert rapidement pour passer aux autres clients et ne pas se retrouver avec une file d'attente longue comme la pièce principale. Tu le remercies d'un geste de la tête et poses l'argent sur le comptoir pour qu'il le récupère avant d'aller te trouver une place dans un coin avec moins d'agitation, plutôt vers le fond du bar, mais avec tout de même une vue d'ensemble sur le club et ses clients.

Vieux réflexe de soldat ; tu aimes anticiper ce qui se passe et analyser les gens qui vont et viennent pour ne pas être pris de court en cas d'incident.

Mais un visage en particulier finit par attirer ton attention alors que l'heure passe et que les clients se pressent de plus en plus dans l'établissement. Une tête brune, percée, partiellement rasée... mais surtout un air agaçant et une grande gueule. Un relent de Russie te revient alors en pleine figure alors que tu te redresses sur ton canapé, le verre à la main. Tu as déjà vu ce type et ce n'était pas dans tes derniers mois passés à Londres, ni ceux d'avant passés en France. Sinon tu t'en souviendrais avec plus de précision.

Non, cette tronche là remonte à plus loin. Iznoski. Y'a que là que tu aurais pu rencontrer autre chose que des soldats de ta section. Tu creuses, tu creuses dans ton esprit tout en buvant quelques gorgées de ton whisky et tu finis par reposer le verre sur la table devant toi pour t'appuyer sur les coudes. Une situation étrange te reviens alors en mémoire et te sourcils se lèvent légèrement avant que tu ne décides d'aller à sa rencontre.

« Davnen'ko. »
[ça fait longtemps / ça fait un moment]

Tu tentes de t'adresser à lui dans ce que tu assumes être votre langue natale. Au moins, ça te permettra plus rapidement de voir si tu t'es complètement planté ou pas sur son compte. Ton air est froid, distant, comme toujours. Pourtant, on pourrait presque discerner l'esquisse d'un sourire en coin ?